Cassandra traquait les braqueurs de banque en question depuis un moment, avait consciencieusement étudié leur mode opératoire avant de trouver où et quand frapper. Elle avait bien vite déduit qu’il était futile d’essayer de leur tomber dessus en plein hold up – elle n’avait ni l’équipement, ni la carrure pour – mais avait par contre essayé de faciliter la tâche à la police. Chose qui s’était avérée plutôt futile en soi, puisque les voleurs avaient tout de même échappé aux forces de l’ordre. Batgirl en avait déduit alors qu’une taupe se trouvait chez la flicaille, s’évertuant à faire capoter toute tentative honnête d’arrêter ces bandits.

Soit.
Elle emploierait alors la manière forte, à un moment où il n’y aurait pas d’otage, autrement dit lorsqu’ils seraient tranquillement en train de négocier dans une planque quelconque. Pour ce faire, elle s’était contentée de poser quelques émetteurs, à pas feutrés ou à jets de sarbacane selon les occasions ; deux véhicules et trois bandits marqués plus tard, elle était collée devant son écran d’ordinateur à guetter les mouvements dans Gotham. Au bout de la troisième occurrence de rassemblement massif des petits points lumineux sur le plan virtuel, elle enfila sa combinaison de cuir renforcé, chaussa ses bottes si peu bruyantes, enfila sa paire de gant, boucla sa ceinture et sa cape, vérifia ses munitions diverses et variées. Par-dessus son accoutrement, elle enfila en grand et long manteau. Elle n’avait pas de véhicule adapté pour parcourir les rues de Gotham, même si sortir sans son masque lui déplaisait. Elle aimait tout autant cela que se balader chez elle uniquement vêtue de ses chaussettes Charlotte aux Fraises ; autant dire pas du tout. Il lui faudrait le vêtir uniquement à l’abri, pas trop loin de son objectif, le tout sans se faire repérer. Un jeu d’enfant, pour quelqu’un de suffisamment malin. Elle évitait les ruelles sombres et préférait les cours d’immeubles désertes, par exemple, trouvait diverses astuces pour qu’aucun de ses mouvements ne parût suspect. Elle avait, de toute façon, des années d’entraînement derrière elle et bien de regrettables erreurs peuplaient ses jeunes années.

Ce fût donc sans encombre que Cassandra se métamorphosa en Batgirl et qu’elle arriva sur les lieux. À bonne distance, une paire de jumelle devant les mirettes, elle guettait le moindre mouvement. Rester aussi immobile dans la fraîcheur de la nuit lui raidissait quelque peu les muscles, mais elle se consolait en se disant qu’elle allait finalement coincer ces braqueurs de pacotille. Ses cibles apparurent finalement et pénétrèrent dans l’entrepôt, lui arrachant un sourire satisfait. Elle commençait déjà à songer à la manière dont elle allait les suivre – la porte de secours était exclue et elle commençait à envisager de trouver une entrée par le toit – quand elle silhouette familière entra dans son champ de vision. Il avait visiblement eu la même idée qu’elle, puisque déjà, il grimpait le long de la paroi de l’entrepôt.

Cassandra ignorait si elle était amusée ou agacée de le trouver – une fois de plus – sur la même affaire qu’elle. Mais elle ne comptait pas le laisser la dépasser de quelque manière ce fût, elle filait les braqueurs depuis bien trop longtemps pour ça (si seulement elle savait que le petit Robin était tombé sur eux presque par hasard) et elle n’allait certainement pas lâcher l’affaire. Elle se glissa en silence dans la nuit, grimpa à son tour et attendit patiemment à l’entrée de la trappe, sous le couvert des ténèbres. Tant qu’à faire, elle pouvait bien travailler son entrée. Elle patienta jusqu’à ce que le jeune justicier se mît en mouvement pour pénétrer définitivement dans l’entrepôt et se laissa tomber à ses côtés que lorsqu’il eût fini sa réplique :

« Eh bien, je suppose que cela fait du un contre quatre, avec un papi chacun, gamin. »

Elle prenait un malin plaisir à l’appeler gamin, mais ne s’attarda pas pour voir si oui ou non elle l’avait agacé ; elle saisit aussitôt une lame de jet de sa ceinture et désarma le premier homme au révolver qu’elle vît. Puis, elle s’élança dans la mêlée avec une agilité et une rapidité qui, à défaut de faire preuve d’autant de technique de Young Robin, avaient le mérite de souligner les années d’expérience sur le terrain. Du tranchant de la main, elle frappa l’homme déjà blessé à la trachée, lui coupant instantanément la respiration, puis elle bondit en arrière pour esquiver le suivant.

Un sourire s’étira sur ses lèvres. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu un peu d’action – du menu fretin, certes, mais tout de même. Et elle s’autorisa un coup d’œil sur son partenaire occasionnel avant de bondir à nouveau, prête à en découdre.

Un à terre, trois restants plus le papi.
Un sourire de prédateur étira les lèvres de Cassandra alors que trois adversaires se jetaient sur elle en même temps. Il ne s’agissait pas là d’un excès de confiance, loin de là ; Cassandra n’avait rien d’un surhomme – enfin, d’une surfemme – elle ne faisait pas partie de ces gens avec quelque superbe mutation ou autre. Non, elle n’était qu’entraînée et déterminée. Et cela devrait suffire. D’un bond en arrière encore, serti d’une roulade, elle s’éloigna suffisamment pour ne pas avoir à subir une attaque simultanée, puis elle plongea sur le côté pour s’attaquer à un premier homme. Elle visa immédiatement le genou de ce dernier, lui brisant la rotule d’un coup sec, et le craquement sinistre s’accompagna d’un hurlent de douleurs. Les insultes fusèrent ensuite, et Batgirl lança un regard réprobateur à sa victime.

« Allons, ce n’est pas ainsi qu’on traite une dame. »

D’un coup sec à la base de la nuque, elle réduisit le nuisible au silence.
Plus que deux, et un papi.

Elle décida d’ailleurs de commencer par ce dernier ; elle n’aimait pas laisser le plus faible pour la fin, car il s’avérait souvent être le plus fourbe. Or, ce genre de fourberie était tout particulièrement fatale lorsqu’on abaissait fugacement sa garde. Elle saisit donc à sa ceinture une mini boule fumigène et l’éclata au sol, pour, encore une fois, gagner du temps. S’il y avait bien une chose qu’elle avait appris de Batman et de ce qu’on entendait sur lui, c’était que l’effet de surprise, la vitesse d’attaque et la dissimulation étaient de loin les atouts les plus décisifs. En l’occurrence, elle s’avérait être particulièrement ingénieuse dans ce genre de domaine, ce qui l’arrangeait. Cela, et sa touche cruelle qui faisait d’elle une adversaire impitoyable, qui brisait et, mieux encore, taillait à l’aide de ses lames adorées.

Elle surgit du nuage de fumée, furtive et rapide, pour assommer donc l’ancien du groupe et le menotta sans autre forme de procès. Il ne lui restait donc plus que les deux gros bras restants. Elle s’apprêtait à replonger, mais elle avait perdu du temps, et, déjà, le nuage de fumée se dissipait. Deux bras se saisirent d’elle et la soulevèrent, pensant la prendre au piège et lui rendant la respiration difficile. Pragmatique, elle envoya sa tête en arrière, écrasant le nez de son adversaire qui, de surprise, la laissa retomber. Mais elle ne fut pas assez rapide pour esquiver le coup que lui réservait son acolyte.

Agacée, elle passa la langue sur ses lèvres, un rictus mécontent déformant ce qui était visible de ses traits. Soit. Ils voulaient le clou du spectacle ? Très bien. Elle déroula de sa manche un câble métallique muni de poids à ses extrémités et commença à le faire tournoyer autour d’elle. Elle fondit tel un rapace sur ses ennemis, enroulant tout d’abord le câble autour des jambes de celui qui avait le nez brisé tout en envoyant un coup de pied tourné à l’autre. Imprévisible, elle raccourcit encore la distance entre elle et son adversaire plutôt qu’esquiver d’un autre bond en arrière ; déstabilisé de la voir franchir ainsi sa garde, le vilain ne parvint pas à esquiver le coup de genou qu’elle lui assena dans le plexus avant de bondir par-dessus son épaule, insaisissable. Elle tira ensuite le fil à elle, traînant l’homme au nez cassé attaché à sa suite, glissa entre les jambes de son adversaire, l’emmêlant dans le câble pour le priver de ses mouvements. Puis, vive comme l’éclair, elle bondit encore pour frapper sa tempe de ses bottes renforcées, l’assommant lui aussi pour de bon.

Sourire satisfait.
Les quatre hommes gisaient au sol autour d’elle, formant un tableau qui flattait quelque peu son orgueil. Elle prit consciencieusement le temps de terminer de les ligoter de son câble, nullement inquiète pour le gamin, puis entendit ce dernier désigner un vainqueur. Oh ? Il avait fini, donc ? Mais, ce n’était pas lui qu’il désignait comme vainqueur, si ? Ils avaient fini presque simultanément, après tout.

« Tu voulais dire ‘une gagnante’, j’espère ? », lança-t-elle à la cantonade tout en se dirigeant de sa démarche féline jusqu’à son jeune rival.

Elle leva les yeux sur le vieux suspendu à la passerelle et esquissa un sourire amusé. Ce petit avait de la ressource et de l’imagination à revendre, c’était certain. Mais elle resterait la plus maligne des deux ! Elle se demanda brièvement, pour la énième fois d’ailleurs, où diable avait-il pu se procurer autant de matériel de si bonne qualité. Puis, comme toujours, elle écartait sa dévorante curiosité dans un élan de respect, non pas pour lui, mais pour le port du masque ; elle n’apprécierait guère qu’il lui posât des questions sur sa véritable identité, alors elle ne le faisait pas elle-même.

Elle posa ses poings sur les hanches et toisa Young Robin avec un air faussement sévère, avant de signifier :

« C’est pas très gentil de t’incruster à ma petite fête. J’étais sur leur piste depuis un moment. »

Ils n’étaient pas si nombreux, elle n’aurait juste pas foncé dans le tas comme l’avait fait le jeune justicier si elle avait été seule.

Elle se promettait de lui faire ravaler son arrogance, un jour, à ce sale gosse. Mais la pensée, loin d’être une menace, avait plutôt des sonorités de défi teinté d’affection, même si elle ne l’avouerait jamais. Dans le fond, elle ne voyait cette rivalité que comme un vague divertissement, un jeu, peut-être un soupçon de jalousie ? Mais jamais elle ne laisserait son orgueil se faire véritablement piétiner par mini Robin, pas plus qu’elle ne laisserait ces petites joutes compromettre la moindre des missions. Elle se contenta donc de lever les yeux au ciel, avec un sourire entendu. Évidemment, qu’elle aurait pu se débrouiller seule. Difficilement, différemment, mais elle l’aurait fait. Elle s’était tirée de situation bien plus compliquées que celle-ci. Mais, c’était agréable de s’en sortir sans aucune égratignure si ce n’était un coup reçu et un muscle qui tirait un peu. C’était du défouloir plus qu’autre chose, après tout.

« Batman, c’est différent. Voir la légende à l’œuvre est une expérience qui ne se refuse pas », répliqua-t-elle d’un ton chantant.

Pas une seconde elle n’avait songé à contredire ce point. Son admiration pour le chevalier noir n’était pas un secret, et elle ne comptait pas le dissimuler de toute façon. Ce qu’elle dissimulait, par contre, c’était cette légère rancœur, tenace et amère, qu’elle éprouvait toujours à cause de ses disparitions ; ses motivations allaient bien au-delà d’un fanatisme garni de quelques fioritures, il s’agissait davantage d’un désir de justice et d’un vide à combler, une absence à oublier et un objectif à atteindre. Sept ans à jouer les Batgirl et la détermination restait la même, vivace et suffocante.

En réponse au pouce levé, elle esquissa une courbette, saluant ironiquement autant la répartie de mini Robin que sa prestation au combat et le compliment qu’il lui avait décerné, avant de poursuivre à son tour, d’un ton taquin :

« Merci ; je dois avouer que, sans toi, j’aurais pu me casser un ongle et rater mon rendez-vous. »

Car, effectivement, seule, elle en aurait eu pour bien plus de temps ; là, tout c’était déroulé rapidement, l’affaire était classée, ses bandits rétamés et le gamin à la syntaxe encore puérile en dépit de son ciboulot si avancé s’était avéré d’une aide précieuse. Elle s’amusait de le voir épousseter et rajuster sans cesse sa tenue. Quel petit adolescent pompeux… mais, cela faisait partie aussi de son charme et du jeu, se disait-elle. Si elle était prompte à le juger et à l’enquiquiner, elle ne s’y trompait pas quant à sa qualité de combattant. Elle le considérait comme un égal, et le lui fit comprendre en lui rendant sa poignée de main, fermement et amicalement, pour reconnaître sa valeur.

Ses prunelles rendues plus foncées par ses lentilles perdirent leur éclat rieur et elle jeta un regard circulaire sur l’entrepôt, fronçant les sourcils derrière son masque. Quelque chose clochait. Outre la facilité – relative, au vu des renforts – du combat, et le nombre qui correspondait, quelque chose clochait. Ses lèvres se pincèrent en un pli soucieux, elle entreprit d’examiner les poignets des différents gorilles. La peau y était blanche et normale, aucun signe distinctif… Or, il lui avait semblé apercevoir sur les vidéos surveillances comme lors de son expédition la naissance de tatouages… Accroupie devant le dernier homme, elle se décida à faire part de ses inquiétudes à Young Robin. Après tout, maintenant qu’il était là, elle n’allait pas le virer à coup de pied au cul ; il mettait toujours un peu de piment dans leurs escapades et une touche de compétition pas tellement désagréable.

« Il y a un truc qui cloche, Junior. »

Elle se redressa, alerte, avant de formuler ses pensées à voix haute.

« C’est la bonne planque, le bon schéma, les bon vieux… Mais les armoires à glace, là, ce ne sont pas les types des braquages. »

Elle n’aimait pas ça. Maintenant qu’elle y songeait, elle était étonnée que l’entrepôt fût aussi vaste, pour un butin absent, et qui de toute façon n’aurait pas pris autant de place… Une si grande planque impliquait une surveillance bien trop coûteuse et des soupçons bien vites attirés en cas d’inactivité. Sans compter qu’en fin de compte, Robin et elle n’avaient pas eu de grande difficulté à pénétrer dans les lieux… Songeuse, elle porta une main à son menton et, le regard rivé sur son jeune acolyte, elle signifiait clairement un « tu penses à ce que je pense ? » tacite. Un frisson d’expectation lui parcourut l’échine et un mauvais pressentiment l’envahit, bien qu’elle n’en montrât rien. L’oreille tendue, tous les sens à l’affût, elle attendit de voir si le justicier en herbe partageait ses doutes.

Spoiler:

Bien sûr que non, elle ne l’avait pas cru quand l’arrogant personnage avait prétendu connaître Batman. Hé ! Pourquoi lui plutôt qu’elle ? Certes, il y avait la question de l’équipement, mais elle s’y refusait quand même ; dans son idéal du personnage, elle niait catégoriquement qu’il fût assez inconscient pour envoyer un gamin en costume arpenter les rues de Gotham. Vraiment, il y avait de meilleures façons de gérer une crise d’adolescence, tous n’étaient pas obligés de l’imiter. Et elle n’avait plus de parent pour qui compter. En revanche, si Young Robin était vraiment le fils adoptif du chevalier noir, cela voulait dire qu’il y avait des gens pour qui il comptait. Non, vraiment, rien de tout cela ne tenait. Cassandra l’imaginait plutôt en gamin blindé de thune et passionné qui profitait de la carte bancaire de ses parents et qui faisait sa petite crise super-héros. Après tout, si elle avait pu se convertir en justicière – du haut de ses seize ans à l’époque – rien n’était impossible.


De la torture ?
Batgirl n’était pas vraiment enchantée à l’idée d’en passer par là. Non pas qu’elle fût une petite nature, loin de là… Mais elle avait ses propres façons de faire, et elle ne désirait en rien que le gamin apprît son penchant pour les lames affutées. Le craquement des os qui se brisent raisonna dans la pièce, accentué par un sinistre écho. Cela lui rappelait bizarrement l’œuvre de Batman, ça, comme technique ! Elle sourit en son for intérieur, heureuse de constater qu’elle faisait preuve d’un soupçon d’originalité. Étrangement docile et soucieuse, elle n’eût pas besoin de se forcer pour quitter son sourire en coin. Elle ramena docilement le prétendu cerveau de l’opération numéro deux ; elle l’avait si bien sonné que le trajet jusqu’à son comparse, traîné comme un vulgaire sac sur le sol, ne l’éveilla même pas. Elle avait veillé à ne pas le tuer, pourtant, elle n’avait pas frappé bien fort… Qu’il fût si profondément plongé dans l’inconscience n’était pas du tout dans ses projets. Vraiment, les bandits du troisième âge étaient d’un fragile lassant.

Comme prévu, mini-terreur n’avait pas réussis à intimider suffisamment son papi – oh, allez, un petit effort, il est impressionnant pour un justicier en herbe, non ? – et elle fronça les sourcils en l’entendant parler, puis se mordit la lèvre, tic qui ne la quittait pas. Oh, déjà, qu’on discréditât son acolyte dont elle appréciait l’appui n’était pas très réjouissant, mais en plus, quelque chose clochait dans ce qu’il venait de dire. Agacée, elle tourna autour de lui comme un félin guettait sa proie, d’un pas lent, mesuré, qui accompagnait sa réflexion. Sa voix n’était plus qu’un murmure grave et glacial, lorsqu’elle s’exprima tandis qu’un petit couteau de jet virevoltait dans ses mains en rythme.

« Allons bon. Vous venez de révéler de façon plutôt stupide que vous saviez que j’étais sur vos traces. Je trouve les techniques d’intimidations de la soi-disant petite frappe plutôt efficace, moi… »

Même s’il était un peu agressif et impatient dans son mode d’interrogatoire. L’impatience. Quelle défaut et qualité curieuse pour un justicier, non ?

Elle cessa de faire les cents pas, saisit quelque chose à sa ceinture et s’accroupit devant le vieux, lui faisant part de ses déductions que lui apportaient son sens de l’observation parfaitement exercé.

« Vous ne seriez pas aussi véhément s’il ne s’agissait pas d’un piège, vous n’êtes pas du genre très courageux, on le sait tous les deux. On sait aussi que vous n’allez pas pouvoir te carapater en courant. »

Un sourire cruel se dessina sur ses lèvres, alors qu’elle poursuivait, tout en révélant la seringue dissimulée jusque-là :

« Alors, voilà le marché. Vous communiquez immédiatement un rapport détaillé à mon jeune ami que voilà, ou je teste cette merveilleuse substance que voilà. Je l’ai volée pour l’étudier il y a quelques semaines déjà à un apprenti savant fou probablement inspiré par le lézard géant et notre homme araignée. Toutes les victimes mouraient dans d’atroces souffrances, chaque membre déchiré et déformé par la mutation sans jamais la mener à terme. »

Elle contempla l’aiguille d’un air rêveur.
Robin n’avait plus qu’à le pousser un peu plus, un simple mot, une menace, un coup ou voire même d’une tentative de la dissuader ; bref, il s’en fallait de peu pour que le vieil homme craque. Parce qu’il était bien connu que Batgirl ne partageait pas toujours la miséricorde du chevalier noir ; elle n’hésiterait pas une seule seconde à injecter cette horreur, et l’homme n’aurait alors que tout son temps pour lui révéler le plan entre deux râles de souffrance tout en la suppliant de l’achever. Et puis au pire, il restait toujours le deuxième vieux à réveiller, non ?

Le côté plus extrême de Batgirl venait peut-être du fait de l’abandon. Les disparitions successives du chevalier noir avaient probablement estompé les principes ; l’image de l’idole et les idéaux étaient toujours là, mais la foi en l’autre s’étiolait doucement. À quoi bon croire que ces débris se tiendraient mieux derrière des barreaux ? Pourquoi penser qu’ils ne resurgiraient pas dès qu’ils en auraient l’occasion ? Cela restait mignon lorsque l’on parlait de braquages, et de bijouterie. Mais un violeur, un tueur ? Mettre fin à ses jours, c’était en préserver d’autres. Alors non, Batgirl ne tuait pas souvent. Elle contrôlait au mieux ces pulsions létales qui, parfois, l’animaient. Cependant, en cas d’extrême nécessité, quand elle se sentait acculée ou quand elle devait choisir entre la vie d’un innocent (voire la sienne, il s’agissait, parfois, d’une question de survie) et celle d’un criminel, elle n’hésitait pas une seule seconde.
Le monde n’était, après tout, ni noir, ni blanc, et les sacrifices, les douleurs, la mort… toutes ces choses sombres et tapies dans les ténèbres de Gotham existaient bel et bien. Enfin, elle ne voulait pas froisser le petit et avait suffisamment terrifié le vieux comme ça. Inutile se représenter ce qui n’arriverait pas. Et si ce sale gosse s’évertuait à lui faire la morale, cela allait très mal se passer pour lui. Vraiment. Elle n’était pas le genre de filles auxquelles ont se permettait de dicter la conduite ; soucieuse de la bonne entente et des principes des autres, elle pouvait volontiers s’adapter. Mais lorsqu’elle travaillait solo, c’était son problème. Qu’il se tût et acceptât sa nature où qu’il s’en fût. S’il avisait d’ouvrir la bouche sur ce sujet, elle ne lui ferait aucun cadeau. Le droit d’aînesse, ça lui parlait, au petit arrogant ?

Ses lèvres se tordirent en une moue mauvaise lorsqu’il la traita de garce. Ce qu’elle haïssait les insultes. Cela lui donnait envie d’être inutilement odieuse, de casser la vulgarité de son verbe acéré. Elle se contint, cependant, peu désireuse de perdre un temps précieux en une joute verbale dénuée d’intérêt. Difficile de brider les réflexes… Un claquement de langue agacé lui échappa, ainsi qu’un regard mauvais dardé sur l’impudent personnage. Quand tomberait-elle sur un méchant civilisé ? Ces créatures-là ne semblaient pas courir les rues.

Énième menace de l’apprentie chauve-souris, et voilà que le larron se décidait à débiter ses informations. Bien ! Ce n’était pas trop tôt, car une Cassandra impatiente ne donnait rien de bon. Elle avait beau se targuer de faire preuve davantage de sagesse que le mini Robin, elle n’en croyait pas moins que la chose traînait en longueur. D’un autre côté, elle trouvait cela peut être un peu trop facile. Elle fronça les sourcils, notant ce détail avec intérêt pour s’en détourner aussitôt, sautant avidement sur les informations données pour les analyser avec le soin dont elle avait coutume.
Quatre planques, donc ? Cela faisait sens. Elle savait qu’il y avait des braquages simultanés, mais ces malins avaient modifiés leur méthode pour qu’on crût qu’il s’agissait de groupes différents, justes synchrones pour le côté pratique. Elle avait bêtement poursuivi les plus conséquents, sans se douter que cela formait un tout. Elle se traita intérieurement d’idiote et commença à réfléchir plus en avant aux locations desdites planques.

« On s’en va, vite ! »

Elle leva les yeux au ciel. Elle avait déjà commencé à s’élancer avant même qu’il s’exprimât. Elle espérait donc seulement que l’injonction du jeune Robin avait juste une signification théorique, ou elle finirait par prendre la mouche. C’était qu’elle s’agaçait vite quand elle sentait son égo bafoué. C’était plutôt désagréable de faire équipe avec quelqu’un d’aussi bavard et motivé, quelque part. Elle ne s’en plaignit pas pour autant, c’était une femme diplomate et observatrice, elle se doutait bien que ce n’était pas le moment. Elle se vengerait, plus tard, avec soin et milles répliques cinglantes dont elle avait le secret. En admettant qu’elle en aurait l’occasion et qu’elle accepterait de passer plus de temps que de raison avec le petit entêté.

Une fois sur le toit, elle observa par la trappe entr’ouverte les véhicules s’engouffrer dans l’entrepôt : elle voulait les voir. C’était risqué, certes, mais elle n’avait pas peur de les semer plus tard. Elle se mordit la lèvre, attentive et songeuse, plissant les yeux malgré la gêne des lentilles pour mieux discerner ce qu’il se passait en bas, retrouver un tatouage, s’assurer que le vioc disait vrai. À la « suggestion » de Robin, elle poussa un profond soupir. Monsieur avait une moto. Décidément, ces gosses de riches…

« Mon grand, sache que je ne suis qu’à demi-satisfaite et que je ne grimpe sur un bolide à deux roues uniquement quand j’en suis le pilote. »

Il ne manquerait plus qu’elle se trouvât sur une moto avec lui ! Elle détestait ne pas avoir le contrôle de la situation, ne parlons même pas de ce que c’était une fois sur une bécane fonçant à toute allure à travers Gotham City ! Sous ce masque se cachait peut-être un adolescent vicieux, en plus. Cela donnait des frissons dans le dos, même si, c’était-elle, dans le fond, qui avait les idées mal placées.

Spoiler:

Mettre sa fierté de côté ?
Oh, petit impertinent, comme tu te méprends sur ton interlocutrice !

Si Cassandra se laissa entraîner, ce fût seulement parce qu’elle était furieuse et stupéfaite ; les deux émotions la laissèrent étrangement dans un état passif. L’impétuosité du sale gosse lui donnait tout simplement envie de le frapper. Très fort. De lui faire ravaler sa foutue arrogance. C’était toujours le problème, avec ces justiciers de pacotille qui combattaient le crime : ils y mettaient une telle conviction, de tels idéaux qu’ils étaient absolument ridicules, niais et affables. C’était pour cela que, dans le fond, elle les détestait tant. Batman, comme la rumeur l’avait tout d’abord présenté, était un mythe sombre et caractériel. Certes, il ne tuait pas, mais sa colère vibrait encore dans l’air derrière lui, l’atmosphère terrifiante, la peur qu’il exhalait imprégnait ses ennemis… Terrifiant. Doucereusement terrifiant. Un gamin bouffi d’orgueil pouvait être amusant deux minutes, pouvait s’avérer être un rival distrayant, pouvait même s’avérer être d’une aide certaine de temps à autres. Elle respectait son travail, et sa caboche remplie de bisounours dans un monde si sombre, si amer. Vas-y, petit, nettoie la ville à ta façon. Mais j’suis pas intéressée.

Cassandra est une colérique. Batgirl lui permettait d’exprimer sa colère. Bien sûr, elle combattait crime et injustice. Bien sûr, elle voulait sauver Gotham. Bien sûr, elle avait un bon fond, une jolie petite âme, là, sous son cœur palpitant de jeune femme. Mais elle avait aussi perdu un frère qui s’était approché de trop près de la mafia. Elle avait aussi perdu une idole, qui avait fui la ville pour revenir… pour revenir comment ? Avec des avortons tels que Robin pour prêcher sa bonne parole ? Ou diable était passé le Batman qu’elle avait connu ? Celui qui avait terrifié l’obscène Gotham de son ombre vengeresse ? Parce que, la fureur du premier Batman, c’était bien animé par une vengeance, violente et insatiable. Oh, comme elle, il avait bon cœur, principes et autres. Mais ils étaient enfouis. Profondément, enterrés pour émerger, de temps à autres, pour souffler une vague apaisante. Vide et chagrin. Idéaux. Mais certainement pas devenir une lavette sans saveur.

Pendant le trajet, la fureur de Cassandra se transforma peu à peu en haine. Une haine dirigée contre le monde entier, une haine induite par le vide de sa propre existence. Elle se fichait éperdument de cette course poursuite ; c’était tout juste si elle prêtait attention à la prestation d’adresse et de vitesse du bolide, et l’adrénaline qui pulsait dans ses veines, galvanisante sensation, ne faisait qu’alimenter son aversion pour la créature qui pilotait. Il lui avait imposé ses choix. Avait fourré le nez dans son affaire. Avait détestablement décidé de lui prouver sa valeur. Alors qu’elle n’en avait strictement rien à foutre. Batgirl était un personnage volage et changeant, caractériel. Un électron libre qui avait horreur qu’on lui dictât sa conduite. Qui prenait ses décisions, ses risques et ses engagements elle-même. Particulièrement indépendante. Qui n’avait besoin de personne.

Le visage de Jill s’imposa à elle. Apaisant. Un peu.
Oui, il y avait des choses qui méritaient encore son attention. Qui n’étaient que douceur teinté d’une injustice amère. Alors, pour ces choses-là, peut-être pourrait-elle faire des concessions. Pas pour le gamin.

Elle n’attendit pas que le contact fût coupé pour descendre de la moto – si l’on pouvait encore parler de moto avec de telles proportions – et toisa Robin. Elle prit une profonde inspiration pour contrôler sa voix et raffermir sa décision. Elle détestait abandonner, elle n’aimait pas les défaites et s’enorgueillissait volontiers de ne jamais lâcher l’affaire. Mais elle savait, néanmoins, qu’il était inutile d’insister, parfois. Elle avait aussi à prouver sa valeur, mais différemment. Non, elle n’avait pas tout un tas de gadgets de super technologie que seuls les riches pouvaient s’offrir ; c’était tout juste si elle pouvait se payer un loyer. Elle comptait que sur elle-même, que sur ses maigres moyens, et avait bien coffré des criminels de la sorte. Ras le bol de ces Team-up si c’était pour être rabaissée à chaque fois par des avortons. Jalouse, elle ? Il n’avait pas idée.

Malgré elle, son ton fut empli de fiel, et sa voix naturellement grave emplit l’atmosphère silencieuse et nocturne.

« J’en ai rien à foutre de tes preuves. Je te crois. Tu es le petit protégé de Batman. Bravo, je suis ravie pour toi, gamin. »

Ne pas lever la main sur lui. Ne pas l’insulter. Ne pas s’abaisser à l’engueuler. Ne pas… la liste était longue. Elle se la répétait pour garder le contrôle, bref leitmotiv traînant en filigrane dans sa tête, se faisant violence pour ne pas dépasser les bornes. Parce qu’il en était ainsi, Cassandra faisait partie de ces gens sur le fil du rasoir, que l’envie de justice se confondait parfois avec une violence incontrôlable, une ire si dévastatrice qui pourrait la pousser à faire les mauvais choix. Elle lança à Robin un objet récupéré à sa ceinture, comptant sur les réflexes du super justicier ultra sophistiqué et tellement meilleur que tout le monde pour attraper une simple clé USB.

« Amuse-toi bien. »

Elle contenait les informations sur les braquages, la fréquence des mouchards sur les véhicules et autres données bien utiles pour arrêter les cambrioleurs. Impeccable. S’il était avec Batman, il trouverait bien d’autres acolytes pour les arrêter tous d’un coup, bien sûr. Sur ces simples mots, elle se détourna. Elle n’avait pas la moindre envie de s’attarder, encore moins de rencontrer son prétendu héros s’il se contentait de créer une armée de Robin. Il laissait des gamins nettoyer la ville ? Une perspective bien agaçante. Après un bref coup d’œil au mini GPS qu’elle gardait toujours sur elle, elle poussa un bref soupir. Voilà qu’elle était bien loin de la maison, encore plus de l’endroit où elle avait dissimulé son manteau. Elle devrait improviser pour regagner discrètement son appartement. Sans compter que le jour se lèverait probablement d’ici là. Elle trouverait bien une astuce. Après tout, c’était bien là l’une de ses rares qualités. Et déterminée à entamer cette longue marche, elle commença à s’avancer dans la direction voulue à longues enjambées fermes.

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